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L'art-thérapie vue par le prisme des neurosciences : comment créer transforme le cerveau

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Ecrit par Alice Albertini, art-thérapeute MA

 

Introduction : le pouvoir de l'art-thérapie sur la psyché humaine

Bénédicte est une jeune femme en train de créer lors d’une séance d’art-thérapie, venue pour surmonter une expérience traumatisante. Les mots lui manquent pour exprimer ce qu'elle ressent, mais elle trouve une voix dans l’argile qu’elle pétrit. Elle façonne la matière sous l'œil attentif de son art-thérapeute. Lentement, sa respiration se calme, ses muscles se détendent et un sentiment de sécurité s'installe. Avant même qu'elle ne puisse mettre des mots sur son expérience, son corps a déjà entamé un processus de régulation. Il ne s'agit pas simplement d'un effet subjectif ou d'une sensation éphémère de bien-être. L’effet bénéfique de l’art-thérapie repose sur des bases scientifiques solides.

Depuis des décennies, les art-thérapeutes observent que la création artistique apporte un soulagement tangible, souvent au-delà du verbal. Aujourd'hui, les neurosciences ont confirmé et approfondi ces résultats empiriques. En effet, des études révèlent que l'art-thérapie active des circuits cérébraux spécifiques liés à la régulation émotionnelle, à la mémoire et au stress (Kaimal et al., 2019). La plasticité cérébrale, qui permet au cerveau de se remodeler en réponse aux expériences apprises, est au cœur de ce processus. Par conséquent, la création artistique devient plus qu'une simple distraction : elle agit directement sur la biologie du cerveau, facilitant l'intégration des expériences et la transformation des émotions douloureuses.

Loin d'être une discipline alternative ou accessoire, l'art-thérapie est une approche thérapeutique sérieuse, soutenue par les avancées de la neurobiologie et de la psychologie clinique. En croisant les données de la recherche avec la pratique clinique, il devient clair que l'art-thérapie mérite une reconnaissance institutionnelle au même titre que les autres professions de la santé mentale. Des chercheurs tels que Garija Kaimal (2019), Noah Hass-Cohen(2008), Susan Magsamen (2024), Arne Dietrich (2015) et Cathy Malchiodi (2020) ont, ces dernières années, contribué à dévoiler les mécanismes neurologiques qui expliquent de quelle façon la créativité favorise la résilience émotionnelle et le bien-être cognitif.

Cet article explore comment l’action de créer avec les arts plastiques, dans le cadre structuré d'une séance d'art-thérapie, interagit avec le cerveau, favorisant une réorganisation neuronale. En conciliant expression créative et compréhension scientifique, nous verrons que l'art-thérapie n'est pas seulement un moyen d'exploration personnelle, mais aussi un levier de transformation cérébrale et psychique, justifiant pleinement sa place dans le domaine de la santé mentale.

 

 

L'art-thérapie: une véritable profession validée par les neurosciences

L'une des principales différences entre l'Homo sapiens et les autres espèces est la présence du cortex cérébral, qui régit la pensée complexe, le raisonnement et la prise de décision. Une bonne connaissance de la structure du cerveau est cruciale pour les art-thérapeutes qui travaillent avec différentes clientèles, et ainsi traiter différentes clientèles. Les recherches récentes en neurosciences ont validé ce qui était depuis longtemps une hypothèse : l'art-thérapie est aussi une profession basée sur le cerveau (King, 2024). En effet, l’art-thérapie implique une activité mentale consciente et inconsciente, intégrant les connexions entre le corps et la psyché par le biais d'images visuelles, de stimulation neuronale entre le système limbique (siège des émotions) et le cortex cérébral (siège du raisonnement).

La flexibilité des processus neuronaux, connue sous le nom de neuroplasticité, sous-tend les bienfaits thérapeutiques de l'expression par les arts. Des neuroscientifiques pionniers tels qu'Eric Kandel (2018) et Allan Schore (2012) ont contribué à la compréhension de la façon dont les processus inconscients, la régulation émotionnelle et les schémas d'attachement peuvent être révélés dans l'activité cérébrale. Des études utilisant l'EEG (électroencéphalogramme) et l'IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) ont démontré des différences mesurables dans l'activité des ondes cérébrales avant et après la création artistique (Belkofer, 2012).

 

Le cerveau créatif : une perspective neuroscientifique

Les neurosciences mettent avant tout en évidence la capacité d'adaptation du cerveau, sa neuroplasticité, ce qui permet le changement psychologique. Chaque expérience, y compris l'expression créative, façonne et remodèle les voies neuronales de la personne. Cela signifie qu’elle peut apprendre de nouvelles choses, changer sa façon de penser, vivre les affects de manière plus intégrée au fil du temps. Le changement au cours de la thérapie est donc possible. L'art-thérapie fait appel à plusieurs réseaux cérébraux, favorisant la croissance cognitive et émotionnelle et, bien sûr, la créativité. Le réseau par défaut (DMN), responsable de l'introspection et de l'imagination, devient très actif pendant la création. Ce processus favorise l'introspection, les associations libres, ainsi que l'amélioration de notre capacité à donner un sens aux récits personnels (Dietrich, 2015). Le cortex préfrontal, qui régit les fonctions exécutives telles que le raisonnement, la prise de décision et la résolution de problèmes, est sollicité lorsque le client en art-thérapie trouve des solutions aux défis rencontrés en séance. De plus, le système limbique, qui traite les émotions, permet aux individus de canaliser et de réguler les sentiments difficiles par l'expression artistique (Hass-Cohen & Carr, 2008), les contenant ainsi et les empêchant de déborder.

D’autres recherches montrent qu’en art-thérapie, l'interception sensorielle peut être influencée. L’interception, c'est-à-dire la conscience des états internes du corps est profondément liée à la régulation des systèmes émotionnel et nerveux (Strang, 2024). Grâce à l'engagement sensoriel, la création améliore la conscience corporelle, favorisant la relaxation et la réduction du stress. En outre, une augmentation de la variabilité de la fréquence cardiaque (VFC) a été associée à une plus grande résilience émotionnelle chez les participants qui sont accompagnés lors de séances d'art-thérapie.

En outre, Linda Chapman (2014) et d'autres art-thérapeutes tels que Lucille Proulx (2003) ont utilisé des modèles neurodéveloppementaux pour explorer comment l'expression artistique favorise l'attachement dans la petite enfance. La neuroplasticité permet des expériences émotionnelles correctives, renforçant de nouvelles voies neuronales qui améliorent la sécurité et l'autorégulation (Chapman, 2014). Ces travaux suggèrent que l'engagement artistique n'est pas seulement expressif, mais permet à la personne de développer sa confiance, favorisant une forte alliance thérapeutique avec l'art-thérapeute.

 

 

L'art-thérapie et le système limbique: la régulation émotionnelle

Pourquoi la peinture, la sculpture et le collage procurent-ils un tel sentiment de catharsis ? Des études neuroscientifiques suggèrent que l’action de créer active le cortex préfrontal médian, responsable de l'autoréflexion et de l'intégration émotionnelle (Kaimal et al., 2019). L'art-thérapie offre une approche structurée et flexible de la capacité à réguler les émotions, en particulier pour les personnes qui ont du mal à les communiquer par les mots.

Le système limbique, qui comprend l'amygdale, l'hippocampe et le cortex cingulaire, est au cœur du traitement des émotions et de la mémoire. Lorsqu'une personne s'adonne à une activité artistique pour exprimer son monde émotionnel, ces régions s'activent (Hass-Cohen & Carr, 2008).

  • L'amygdale, impliquée dans le traitement des émotions intenses, permet d'extérioriser des sentiments autrement bloqués.
  • L'hippocampe, impliqué dans la mémoire et l'apprentissage, aide à contextualiser les souvenirs difficiles et à leur donner un nouveau sens.
  • Le cortex cingulaire, impliqué dans la régulation des émotions, contribue à la prise de recul et à la gestion du stress.

La création d'images via un médium artistique permet d'extérioriser des émotions complexes, ce qui facilite leur traitement dans le cerveau et leur compréhension. Ce processus est positif pour les personnes ayant vécu un traumatisme, dont les souvenirs peuvent être fragmentés ou difficiles à articuler. La recherche a mis en évidence le phénomène de reconsolidation des souvenirs émotionnels. Contrairement à une croyance antérieure, les souvenirs ne sont pas figés : ils peuvent être réactivés et modifiés dans un cadre thérapeutique adapté (Hamel, 2024). Évidemment, la présence d’un-e art-thérapeute convenablement formé pour accompagner les personnes ayant vécu un traumatisme est nécessaire. L’acte de créer seul, ne suffit pas.

L'art-thérapie mobilise des images et des sensations qui facilitent l'accès aux souvenirs stockés dans l'amygdale et le système limbique. En permettant un détour symbolique et sécurisé avec des expériences douloureuses, l'art-thérapie favorise l'intégration d'un nouveau récit émotionnel plus résilient.

Les recherches de Bessel van der Kolk (2010), dans l’ouvrage « The Body Keeps the Score » montrent que le traumatisme n'est pas uniquement stocké sous forme de souvenirs, mais également dans le corps, sous forme de tensions somatiques et de blocages émotionnels. L'art-thérapie permet d'accéder à ces souvenirs corporels de manière non verbale, en aidant à apaiser et à réorganiser les circuits neuronaux liés aux souvenirs douloureux.

En s'engageant en art-thérapie, toujours avec un-e art-thérapeute professionnel-le à leurs côtés, les clients peuvent concevoir des représentations concrètes de leurs expériences, établissant une connexion non verbale avec leur monde intérieur. Il n'est alors pas nécessaire de parler directement de l'événement traumatique (Klein 2020). Les activités artistiques faites durant la séance d’art-thérapie stimulent l'intégration hémisphérique bilatérale, impliquant à la fois l'hémisphère « droit » (système limbique, traitement émotionnel et sensoriel) et l'hémisphère « gauche » (cortex pré-frontal, traitement verbal et cognitif). Cela améliore la restructuration cognitive et facilite la communication neuronale « bottom-top » descendante et ascendante, ce qui est essentiel dans le rétablissement post-traumatique (Gantt & Tinnin, 2009). Cela signifie que plusieurs émotions compliquées peuvent être traitées d'une manière différente, sans avoir à se fier uniquement au langage verbal. Cet aspect rend l’art-thérapie particulièrement intéressante pour les personnes qui sont incapables de raconter les évènements traumatiques qu’elles ont vécus (ou bien que le souvenir d’un évènement particulier n’est même pas présent).

 

 

Les avantages de l'Art-Thérapie pour un rétablissement post-trauma

Les traumatismes perturbent la connectivité neuronale, en particulier dans les zones liées à la mémoire et à la régulation émotionnelle. La psychothérapie traditionnelle a souvent du mal à traiter l'empreinte somatique des traumatismes en utilisant uniquement les mots. L'art-thérapie offre une approche ascendante (bottom-top), engageant les aspects sensoriels et moteurs avant le traitement cognitif (Malchiodi, 2020).

Les recherches en neurosciences indiquent que des activités telles que la peinture, la sculpture et le mouvement expressif sollicitent le thalamus, qui aide à intégrer les informations sensorielles et à réguler les réponses émotionnelles. L'art-thérapie joue également un rôle dans la reconnexion des réseaux neuronaux fragmentés affectés par un traumatisme, améliorant la stabilité et la régulation émotionnelle (Schore, 2012).

D'un point de vue somatique , Johanne Hamel (2021) souligne que l'art-thérapie facilite la guérison en agissant directement sur la mémoire procédurale somatique (ou mémoire dite implicite). Les traumatismes, en particulier ceux qui ne sont pas verbalisés, laissent des empreintes corporelles sous forme de tensions musculaires, de douleurs chroniques ou d'hyperactivation du système nerveux autonome.

En permettant aux individus d'exprimer leurs sensations corporelles par des formes, des couleurs et des symboles, l'art-thérapie ouvre un espace pour renouer avec le corps et libérer les tensions traumatiques. Ce processus s’appuie sur les travaux bien connus de Peter Levine (2010) sur les traumatismes, la dissociation somatique et de van der Kolk (2014) sur la mémoire corporelle des traumatismes (Voir le livre : The Body Keeps the Score).

En outre, de nouvelles techniques d'imagerie telles que l'EEGq (électroencéphalographie quantitative) ont fourni des données empiriques montrant que l'art-thérapie influence l'activité cérébrale au-delà de la simple relaxation. Il a été mis en évidence que l'art-thérapie augmente la connectivité dans les circuits préfrontal-limbique, améliorant ainsi la résilience émotionnelle tout en réduisant l'hypervigilance et les réflexes basés sur la peur (Belkofer, 2012).

L'art-thérapie somatique combine ainsi la stimulation sensorielle, la régulation émotionnelle et la reconsolidation de la mémoire traumatique, constituant un solide levier thérapeutique pour les survivants de traumatismes. En intégrant des techniques inspirées de la pleine conscience et de l'attention aux signaux corporels, elle offre une approche intégrative qui favorise une récupération en profondeur.

 

 

Conclusion : l'art comme besoin humain fondamental

L'art-thérapie est beaucoup plus qu'une activité agréable ou un simple outil d'expression, comme le suggèrent les publicités sur les livres à colorier. Il s'agit d'une approche thérapeutique sérieuse basée sur des mécanismes neuroscientifiques solides, capable de reconfigurer le cerveau et de faciliter la régulation émotionnelle de la personne qui bénéficie du suivi en art-thérapie. Les recherches en neurobiologie et en psychologie clinique confirment aujourd'hui ce que les art-thérapeutes observent depuis des décennies : créer dans un contexte thérapeutique permet de recâbler ses circuits neuronaux, de renforcer la résilience et d'activer des processus de guérison profonds (Kaimal et al., 2019 ; Hass-Cohen & Carr, 2008).

Dans un monde où la productivité et la rapidité sont souvent privilégiées au détriment de l'expression de soi et du bien-être psychologique, il est crucial de reconnaître la créativité comme une nécessité thérapeutique, sociale et somatique. L'art-thérapie n'est pas une alternative douce aux soins conventionnels, mais une discipline en développement qui agit en profondeur sur le psychisme et le corps, contribuant à un équilibre durable chez la personne aidée. L'avenir des soins et de l'éducation en santé mentale doit intégrer pleinement l'art-thérapie en tant que pratique fondée sur des preuves, et non comme un simple un passe-temps agréable.

L'art-thérapie n'est pas un luxe accessoire ; c'est un levier fondamental pour mieux comprendre notre monde intérieur, se faire accompagner, guérir nos blessures et reconstruire un lien plus harmonieux avec nous-mêmes et les autres. C'est également un métier qui ne peut d'improviser. Loin d'être une approche mineure, l’art-thérapie continuera à grandir comme vecteur de transformation individuelle et collective, ouvrant la voie à une approche plus humaine, intégrative et efficace des soins de santé, les écoles, les cabinets privés et les associations communautaires.

 

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